SASSANDRA L'Arrivée 1

Publié le par robinzen

  

 

PROLOGUE 

 

J’avais la prétention de  décrire au supposé lecteur,  les us et coutumes  de Sassandra  en m’inspirant, pour le vaudeville tropicalisé  de Labiche, pour la verdeur du propos  de San Antonio … je me  voyais capable de suggérer Alfred Jarry par la simple description  du quotidien…je posais un soupçon de géopolitique, un brin de journal financier, une pincée  d’ethnologie et le tour était joué !

Las, je n’ai point le talent de mes prestigieux « confrères » (n’oublie pas de sourire, ami lecteur).

Je me  suis contenté de te transmettre en vrac mes souvenirs africains : Tu auras donc, ami, l’exaltante tâche  de classifier et de ranger mon bavardage dans l’ordre qui te plaira, gommant ici les excès de verbiage ou rajoutant  là, entre les lignes, tes propres expériences de  découverte du vaste monde. 

 

 ON DEMARRE LES CHOSES SERIEUSES


SASSANDRA 

 

Après un bref « apprentissage »  de trois mois au déballage d’Abidjan, sous l’œil narquois d’un Tissanbiais transpirant, je me retrouve à Bouaké, investit de la fonction de gérant de la boutique principale…

Lorsque je rejoins Abidjan, convoqué par Travers, chef du personnel, je n’en mène pas large. L’inventaire de passation a révélé un manquant de presque 3 millions CFA sur 6 mois de gestion ! Je tente d’imaginer ma vie après un éventuel licenciement.

 

D’un ton sévère Travers commente ma gestion ; je lui dis mon incompréhension  de ce résultat catastrophique et lui apprend avoir retrouvé, en vérifiant les débits de mon chef d’agence, le célèbre Néant, près d’un million CFA en compte d’emballage non crédité et des erreurs, toujours dans le même sens sur ses débits magasins, je demande un délai pour des vérifications supplémentaires. …l’ombre fugace d’un sourire entendu se devine derrière la fumée de son éternelle Gitane

-Nous vous offrons une nouvelle chance de prouver vos capacités. Vous prenez l’avion demain 8h pour Sassandra…nous verrons vos résultats

Ils se moquent du manquant comme de l’an quarante !

….

Le DC 3  longe la côte à l’Ouest d’Abidjan. Le cordon  littoral, sable et cocotiers, est bien mince, vu d’en haut, fragile séparation qui isole sur 200km  la  lagune  Ebrié de l’océan et de sa  barre furieuse. A partir des marais de Grand-Lahou il n’y a plus traces de civilisation sur les 200km qui nous séparent encore de l’embouchure du Sassandra 

Le paysage est un moutonnement sans relief mais coloré ; Vert soutenu de la canopée,  plage jaune ou grise, barrière blanche de la barre, Atlantique bleu profond.

 

Des rochers  bordés d’écume ! Une lagune d’eau jaunâtre, la côte se relève, un fleuve, une falaise,  des bateaux qui mouillent au large, la gamme des verts se diversifie avec les plantations découpées par les pistes  de latérite rouge…quelques maisons blanches. Nous y sommes.

 
Me voilà avec ma petite valise sur la piste d’un  aéroport  de terre battue. Un grand bonhomme dégingandé, osseux,  en chemisette blanche, short  et  sandales,  ses cheveux gris volant au vent, les traits marqués mais adoucis par un regard paisible de myope, m’accueille :

 ─ Lesac,  chef d’agence. Vous prendrez dans 8 jours la relève de D. qui part en vacances. Le temps de vous mettre au courant. Vous logerez à l’hôtel jusqu'à son départ. Je vous emmène à l’hôtel Grau, ces  lyonnais d’origine  sont à Sassandra depuis plus de 40 ans.

Dans le pick-up Chevrolet qui nous brinqueballe sur une piste défoncée il chantonne  à mi-voix, entre deux commentaires, de manière impromptue ; Ça ressemble vaguement à du classique …Il passera toujours ainsi, sans transition,  d’une conversation suivie à un  détachement complet  accompagné de son fredonnement. Cette bizarrerie lui valait de nombreux sarcasmes ; elle  m’a personnellement  toujours amusée.

La piste court sur la falaise.  Le site de Sassandra est  beau,  ouvert sur le large, avec son éperon de  falaise qui plonge  à pic sur l’Atlantique   protégeant  des rouleaux un  mince croissant de plage couverte de pirogues Fanti.

Cette falaise  est le seul relief  de 100m au-dessus sur la mer de toute la façade atlantique de la Côte d’Ivoire. 

Nouvelle vision des couleurs et du vent,   redécouverte de  l’immensité marine ; ce promontoire est une délivrance du rase motte imposé par le vieux plateau raboté  du continent.

 

  Six cargos sont mouillés en « rade foraine » à 3 ou 4 Km de la côte…Des remorqueurs sillonnent la baie, certains tractant de longs radeaux de billes de bois. De gros chalands jaunes sont accostés à une jetée métallique et dansent avec la houle.  En retrait sur les collines, des  toits rouges coiffent des  maisonnettes blanches ; le quartier européen ?

 

Du haut de la falaise on a une vue globale de la bourgade. Après un bref cordon littoral terminé par un tertre  décoiffé de  maigres cocotiers, la lagune du Sassandra  s’ouvre par une passe  écumeuse  sur l’océan qui repousse  et contient  le fleuve aux eaux lourdes de limon avant leur ultime dilution. Les toits de tôles rouillées  des cases s’entassent le long de la lagune et grimpent à l’assaut de la colline qui coupe la cité. 

 Nous traversons le quartier blanc, qui est, avec l’église, le collège et les écoles  missionnaires perché sur la falaise. Nous attaquons une descente abrupte et traversons le quartier des pêcheurs fanti ; la place du marché  est au pied de la côte entre un marigot pestilentiel surnommé « Rio del merdo » et le parc à bois du Wharf. Ce bonheur du tirage au scrabble, construit dans les années 1950,  est une  jetée  qui  avance  de 300m en mer ; les poutrelles d’acier supportent    5 grues dont une grosse capable de descendre dans les barges des billes de bois de 16 tonnes ; Cette grosse girafe fonctionnait à la vapeur avec  chaudière à  bois, comme les locomotives de Western ! ; Elle est désormais pourvue d’un moteur diesel  (depuis 1966).

 

 

Nous allons à la boutique dire bonjour à mon collègue, un barbichu malingre, qui  me grimace un « Salut » sans chaleur, avant de nous rendre   chez Grau.

C’est un modeste établissement  d’un étage en  quartier africain.

Les Gros vivent en tribu ; Les parents toujours présents ont laissé l’exploitation à leurs enfants qui de remariages en nouvelles liaisons, de départs « pour toujours » en retours tout aussi définitifs, forment une nébuleuse complexe, bruyante et assoiffée.

Ici tout le monde se connaît et la plupart ont des surnoms ; les  blancs  et quelques africains se pressent au bar où  pastis et whisky se concurrencent.

Le restaurant est familial, la cuisine  grasse et  pimentée, ils me soûlent de questions et d’anecdotes idiotes sur des gens que je ne connais pas.

La chambre, à l’arrière de l’hôtel n’est pas climatisée, la moustiquaire  semble sans trous. Odeur suspecte !  J’ouvre les volets pour provoquer un courant d’air mais je suis pris à la gorge par une puanteur épouvantable. Le boucher d’à coté laisse sécher ses peaux de vaches au soleil…Un nuage opaque de mouches vertes vrombit en permanence  au-dessus du charnier. La pestilence est inimaginable. Je descends me plaindre. On me regarde d’un air  surpris.

─ Depuis le temps on n’y fait plus gaffe. C’est vers 6 h, quand le vent vient de la mer que ça sent mais dès 20 H ça va mieux

 

Je change  de chambre, sur la rue maintenant. J’ai le sentiment de ne plus pouvoir échapper à ce relent qui me poursuit et m’obsède. Je picole pour m’étourdir et m’endormir sans rêve

A quatre heures du matin un hurlement psalmodié me tire du sommeil ; De l’autre coté de la rue le muezzin local est monté sur une  table et hurle à plein poumon les sourates du coran !

 

 

Mon collègue D. sourit, finaud, quand je lui raconte ma nuit

─ Lesac est un con radin. Il t’a collé dans l’hôtel le moins cher parce que les Grau  nous doivent du fric depuis perpète et  c’est pour lui le seul moyen de solder cette créance douteuse

Ils ont l’air de beaucoup s’aimer ces deux-la !

 Je vais  voir  Lesac et demande le  changement d’hôtel. Soupir à fendre le cœur. Nous allons récupérer ma valise chez Grau ; Toute la tribu est là, à se fendre la pipe, et je comprends que la chambre pourrie qui donne sur la cour du boucher, et celle du muezzin matinal, font partie de leur stratégie pour me virer au plus vite.

─ Pour fêter mon arrivée j’invite mes collègues au restaurant ce soir

Lesac saisi la balle au bond ;

─ Faites-nous donc ces soles dont vous avez le secret…

Et le soir nous nous régalâmes tous les trois, Lesac n’ayant pas transmis l’invitation à sa femme.

 Au moment de l’addition je dis à Lesac avec un air navré

─ Pouvez vous me faire l’avance des espèces, je suis à court

─ Aucun problème, Madame Grau, mettez le repas sur la note Masseye & Ferras ; Je me rembourserai sur votre compte Tardy.

 

Déçue mais bonne joueuse la vieille Mme Grau vînt s’asseoir à notre table et offrit le calva. Le souffle court elle débite avec un halètement de forge :

─ Tu sais, Lesac, je rentre sur dans un an, avec Henri. Par bateau, sur le Marie Delmas qui largue ses mouillés avant de rejoindre Marseille en douze jours. J’ai tout prévu  avec P., … c’est la compagnie qui nous offre le passage, pour un prix symbolique,   déménagement compris, service rendu !   Pendant quarante ans, Monsieur Tardy j’ai nourri les équipes de mouillés et préparer la bouffe, à toute heure du jour et de la nuit, j’ai pris en pension des marins, des commandants malades ou blessés, j’ai rendu un tas de services sans même y penser mais çà me déchirait de quitter Sassandra pour aller prendre l’avion a Abidjan... et tu sais Lesac, l’argent que te dois ma fille Minette sera sur ton bureau avant mon départ. C’est ce salaud de Fred qui a posé des  problèmes mais depuis qu’elle est avec  Zouzou qui bosse à la Delmas, ça va.

Cette conversation financière et familiale restait hermétique sur bien des plans. Lesac   mis une heure pour  m’expliquer que les ponts étant coupés avec les Grau depuis un an. Mon arrivé était l’occasion de rependre contact, … la mère Grau avait commencé vers 1930 à vendre du café au lait,  du pain et des boites de sardines, en extérieur sous un abri de papot, « comme une négresse » pendant que son mari travaillait dans les travaux publics et claquait sa paye au poker. Elle avait réussi à monter une case en dure puis son hôtel et elle était respectée de tous les Africains et de la plupart des

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M
excellent! continue.<br /> je suis a sass depuis 22ans et je me reconnais dans vos histoires ;-))<br /> merci!!<br /> -marco
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